Cargèse n’oublie jamais d’Isabelle Chaumard

Isabelle Chaumard a déjà écrit deux romans publiés aux éditions Le Mot et le Reste : Belles sanguinaires et Le Sacrifié de Castelluccio.


Clio est une battante, une avocate en vue et qui n’a jamais perdu un seul procès. Jusqu’ici. Dans une avalanche de mauvaises nouvelles, elle perd aussi son emploi parce que le cabinet dans lequel elle travaillait n’est autre que celui de son ex-beau-père qui n’attendait qu’une occasion pour se débarrasser d’elle. Il faut ajouter qu’elle est en très mauvais termes avec son ex-mari, un type exécrable qui se croit tout permis et dont elle évite de croiser le chemin autant que faire se peut.

Mais ce n’est pas tout : sa mère, qui perd la tête et la mémoire, et qui vit dans un centre spécialisé, s’est échappée et est introuvable. Une fugue, comme une gamine !

On ne peut pas dire que Clio s’entende bien avec sa mère qui ne la reconnaît d’ailleurs en général pas, mais elle va tout faire pour la retrouver.

En fait, sa mère, il y a peu, lui a, dans un éclair de lucidité ? – parlé bizarrement, d’une manière insistante, d’un notaire et d’un village… en Corse.

«  – Tu dois aller en Corse
– En Corse ?! Maman, je suis submergée de travail, je n’ai aucune vac…
– Il faut faire vite…
Sa mère s’égare à nouveau. En Corse… Qu’est-ce qu’elle ferait là-bas ? Depuis que cette fichue maladie grignote sa mémoire, elle a pris le parti de ne pas la contrarier. Elle la laisse divaguer…
– Programme un rendez-vous avec maître Francesacci. Il se trouve à Cargèse, sur la côte ouest. C’est un notaire. Il détient tous les papiers.
Une pulsion d’impatience s’empare de Clio. Elle a abandonné le dossier Morlax, quitté le cabinet au pas de course, fiché en l’air sa matinée. Dans l’urgence. Pour discuter d’un notaire corse !
– Écoute, maman, tu dois confondre avec un livre, un film ou la vie d’une autre personne. La Corse, ni toi ni moi n’y avons jamais mis les pieds, alors oublie cette histoire.
– La prochaine fois que tu viendras me voir, je ne serai plus là.

Puisque décidément plus rien ne fonctionne comme il le faudrait, Clio décide de partir en Corse, à Cargèse, trouver ce fameux notaire et en avoir le coeur net.

Quand elle arrive sur place, elle éprouve le sentiment d’appartenir à cette terre, un sentiment que rien de raisonnable ne peut expliquer. Et précisément, Clio s’enfonce dans un monde qu’elle ne connaît pas mais qui recèle des énigmes qui ont tout l’air d’avoir un rapport avec elle et sa mère tout autant qu’avec l’histoire des lieux, un passé intimement lié à la Grèce et dont Clio découvre l’importance.

Son sourire est bienveillant, mais une certaine fermeté s’en dégage, tel un père qui s’adresserait à un adolescent en perdition. Tout d’un coup, il se met à la tutoyer.
– Tu as bien fait de venir. Parce que c’est dans tes gênes.
Clio ne comprend pas. Les idées se mélangent dans sa tête. Comme si tout allait beaucoup trop vite d’un seul coup. Elle se demande ce que veut dire cet homme.
– Je ne suis pas corse, vous savez.
– Tu es corse.
Son regard ne flanche pas. Le ton grave ne souffre aucune contradiction. Il énonce ces mots à la manière d’une sentence. Clio reste silencieuse. Elle ignore pourquoi, mais tout son être lui indique soudain qu’elle doit fuir cet endroit. Comme si le mécanisme d’une immense révélation était en route. Comme si chaque cellule de son corps hurlait qu’elle était incapable de la recevoir.
– Ici on sait ces choses. Comme un sixième sens.
Est-ce la douceur du soleil sur ses bras nus ? Est-ce l’étrange impression de reconnaissance dans cet échange de regards ? Sans aucune logique particulière, elle aime ce Corse aux joues rebondies comme des pêches. On dirait une évidence.

Bien sûr, la vérité est noyée sous des faux-semblants et surtout des tonnes de silence angoissant, et si tout se sait à Cargèse, rien ne se dit…
Bientôt, elle fait la connaissance d’un vieil homme, Constantin, qui aide Clio, protecteur et rassurant avec elle, mais qui paraît cacher et taire de nombreux secrets. Grâce à lui cependant, Clio s’acclimate et mène son enquête, mais elle dérange la quiétude du village et les ennuis s’accumulent, dont certains de façon violente et elle devra faire appel à toutes ses ressources intérieures – dont celle que représente le bonheur d’une grossesse inattendue – pour mener à bien la mission que lui a confiée sa mère, toujours disparue.

Vitylo, Péloponnèse, Grèce, 1674
Moi, Marona Iatrakis, j’aime Michel Stéphanopolis.
Je le rêve en secret. Pourtant, il est mon ennemi.
Une Iatrakis doit haïr un Stéphanopolis. C’est un théorème.
Les Iatrakis affirment être de la même lignée que les Medici.
Et les Medici haïssent les Stéphanopolis. Les Iatrakis haïssent donc les Stéphanopolis. Cette guerre intestine sévit depuis deux siècles.

Un joli roman qui raconte surtout, au travers de l’enquête de Clio, éponyme de la muse de l’Histoire, un passé que je ne connaissais absolument pas : celui des exilés grecs installés au XVII°siècle en Corse et en particulier – mais pas seulement – à Cargèse.

Clio va percer les mystères et lever les secrets, surtout celui que sa mère souhaitait la voir connaître sur leur histoire familiale, qui rencontre la grande Histoire bien évidemment.


Cargèse n’oublie jamais d’Isabelle Chaumard
Editions Le Mot et le Reste, 228 pages, juin 2021

Laisser un commentaire