FANG XIAO DANS LA TOURMENTE de Mi Jianxiu

Qui est Mi Jianxiu ?

Il s’agit en réalité de Michel Imbert, né en 1961. Artiste , il écrit sous son nom véritable et aussi, sous son pseudonyme de Mi Jianxiu, des romans dans lesquels il montre sa connaissance très fine de la société et de l’histoire chinoise. Il crée le personnage du juge Li auquel il offre plusieurs enquêtes dont Jaune camionRouge karmaBleu Pékin et Lotus et bouches cousues.


De quoi s’agit-il donc ?

Fang Xiao est un jeune homme dont la vie sans histoire se partage entre son travail alimentaire et sa famille, un garçon de 10 ans Song et sa femme Xiuxiu, son amour d’adolescent.

Peintre frustré, il a dû renoncer à ses rêves après avoir participé aux manifestations de la place Tian’anmen trois ans plus tôt. Il est depuis fiché et surveillé, dans le viseur de la police avec laquelle on ne rigole pas du tout.

Par hasard, il rencontre Sui Ganggang, devenu policier, qu’il connaît depuis très longtemps car ils ont vécu leur adolescence dans le même village. Celui-ci lui demande d’héberger quelque jours un de ses cousins qui vient d’arriver à Pékin pour son travail et ne sait où dormir. Le cousin se révèle être un hôte désagréable, encombrant et très très louche.

C’est le début d’une longue série d’ennuis qui vont croissant et qui vont trouver leur source très loin dans le passé.


Un extrait :

« Une douzaine d’hommes et de femmes, six enfants, dont Fang Xiao, âgé de 12 ans. On était au printemps 1966.
Le commissaire politique était leur « instructeur ». Il le leur annonça tout en examinant une liste qu’il tenait dans sa main gauche. Il secouait la tête.
« Vous êtes ici pour vous défaire de vos habitude, dit-il. La plupart d’entre vous ont occupé des fonctions en ville. Vous étiez des privilégiés. Une bande de cerbères de la bourgeoisie. Ici vous apprendrez auprès des masses. Le collège des bourgeois a ses critères, nous avons les nôtres, et la première est d’appartenir aux masses laborieuses. Ces hommes que vous voyez là, dit-il en indiquant les trois paysans, sont les vrais savants. »
Celui qui faisait une tête de plus que les autres s’avança. C’était la première fois que Fang Xiao voyait le père de Sui. On l’appelait Sui la Montagne en raison de sa carrure. Levant les mains paumes ouvertes devant lui comme s’il voulait arrêter la marche d’un tracteur, il montra les cals dans ses mains :
« La corne dans mes mains est ma meilleure qualification », dit-il de cette voix éraillée que Lao Fang se rappellerait toujours. L’instructeur reprit la parole.
« Fang était professeur, dit-il ? Professeur de quoi ? Qui est Fang ? » Lao Fang leva la main. »
(p. 64)


Ce que j’en dis :

Un roman noir, bien noir, une spirale infernale et des secrets. De l’amour, de la jalousie, de la haine. Voilà un bon cocktail, ajoutez quelques policiers corrompus, un zeste de révolution culturelle, une bonne dose de culpabilité et une petite ombrelle de vengeance : secouez bien énergiquement et dégustez à plaisir.

Le roman se déroule sur deux temporalités : l’une, presque jour après jour, d’août à février, durant laquelle Fang Xiao et sa famille s’enfoncent dans le malheur, l’autre, des années plus tôt, dans un village de paysans. Passé et présent se mêlent au travers de la rencontre fortuite de celui qui se présente comme leur vieil ami mais qui les trouble : Sui Ganggang.

« Ces trois année de marche forcée vers le communisme avaient été dramatiques pour le village. Un tiers des villageois étaient morts de faim et des mauvais traitements infligés par les cadres. »

Fang Xiao est un personnage attachant, malmené par la politique, malmené par la vie. Enfant, avec son père et sa mère qui ont le malheur d’être des intellectuels – son père porte des lunettes et est professeur, c’est tout dire – il est envoyé à la campagne, dans le Yunnan, à Jialinshan, pour cause de rééducation. Les lunettes, c’est l’objet de la haine des représentants du régime dans le village, ceux qui doivent rééduquer le père de Fang en le mettant dare-dare au travail, au vrai travail, attention, pour lequel les lunettes sont superflues. Mais d’abord on le frappe, on l’humilie et sous les yeux de son fils et de sa femme, c’est tout de suite plus efficace. Et celui qui est affecté à sa rééducation, c’est le villageois le plus costaud, le plus borné aussi, le plus aveuglément (pas de lunettes pour lui, c’est sûr) obéissant à l’idéologie du régime, mais oui vous avez deviné, c’est le père de Sui Ganggang, qu’on appelle la Montagne. Et son surnom n’a rien d’ironique. Et le fils est aussi borné et méchant que le père, sauf qu’il est amoureux de Xiuxiu, lui aussi.

Adulte, Fang Xiao a commis l’erreur de participer aux manifestations de la place Tian’anmen et il n’en a récolté que de graves ennuis et, en particulier, l’obligation de pointer au commissariat régulièrement.

Ça ne favorise pas tellement la camaraderie tout ça, alors quand les deux hommes se retrouvent, il reste entre eux tout ce contentieux, ce passé fait de peur et de mensonges qui les lie plus fermement que l’amitié ne le ferait. Mais Sui est maintenant un policier, il incarne le pouvoir comme son père l’a fait autrefois. La prudence, sinon la confiance, est donc de mise. En plus, Sui est, à première vue, un policier très à cheval sur le règlement, très zélé, qui va jusqu’à coller une amende à son copain car il a jeté un mégot par terre.

Le piège va lentement se refermer sur Fang Xiao qui va petit à petit perdre tout ce qu’il avait si lentement et prudemment construit, jamais vraiment serein, jamais vraiment libre. Mais ça, c’est le quotidien des Chinois, ils y sont habitués et résignés.
Son travail, son logement, sa famille, tout sera perdu. Seul un voyage dans le passé permettra de trouver une forme d’apaisement.

Tout d’abord le plaisir de lire un roman qui nous permette de comprendre la société chinoise des années 80. La peur omniprésente des policiers, des dénonciations, de la répression aveugle et très sévère et la corruption qui domine tout.

Les choses changent, à Pékin. La ville se modernise et les logements anciens et vétustes dans lesquels vivent Fang Xiao et sa famille vont être rasés, remplacés par des immeubles plus modernes et au loyer plus élevé, repoussant les travailleurs peu fortunés toujours plus loin de leur lieu de travail. Xiuxiu, à la rue, va trouver refuge dans un bidonville, comme des dizaines d’autres personnes délogées, trop pauvres pour se payer un toit sur la tête.
La corruption et la délation, qui vont main dans la main et prospèrent dans la peur et la pauvreté, règnent en maîtres.

Quand on fait la connaissance de Fang Xiao, il boite car il s’est fait une ampoule et, malgré la douleur, il marche sans se plaindre. A peine s’autorise-t-il une pause. C’est tout à fait lui ça, un brave type qui avance, obstinément, au travers de toutes les difficultés. Son obstination silencieuse est semblable à celle de millions de Chinois dans ce roman en butte à la pauvreté, la misère, la brutalité d’un régime inhumain et qui avancent quand même sans se plaindre.

« Maintenant change de vie » lit-on sur la prison. Oui, mais comment ? »


FANG XIAO DANS LA TOURMENTE – Mi Jianxiu – Éditions de l’aube – collection L’aube noire – 3 novembre 2016  256 pages

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