La Secte de Michael Katz Krefeld

Michael Katz Krefeld est un auteur danois né en 1966. Il a écrit des scénarios de courts-métrages et de séries télévisées danoises ainsi que des romans policiers. Son thriller Before the Storm a reçu le prix du Meilleur Premier Roman décerné par l’Académie danoise du polar. Ce roman est le troisième qui met en scène Thomas Ravnsholdt, dit Ravn, le flic devenu détective privé, les trois tomes sont parus chez Actes Sud : La Peau des anges (2017) et Disparu (2020).

On retrouve, bien sûr, Thomas Ravnsholdt, qu’on appelle plutôt Ravn d’ailleurs, en grosse grosse déprime depuis que sa compagne Eva a été assassinée dans leur appartement, trois ans auparavant. Ravn vit maintenant sur son bateau, Bianca, dans le port de Copenhague, en compagnie de Møffe, son chien, de beaucoup de souvenirs qu’il essaie tant bien que mal de maintenir à distance en buvant trop, trop souvent, et souvent seul. Il ne fait plus partie de la Police, ne sait toujours pas qui est coupable du meurtre d’Eva ni pourquoi, et gagne sa vie en piégeant les arnaqueurs aux assurances. Il lui reste deux amis indéfectibles : Eduardo qui vit aussi sur un bateau amarré tout près et Victoria, une bouquiniste qui ne dit jamais non à un service pourvu qu’il soit payé en brioches à la cannelle et qui possède une Volvo hors d’âge mais absolument magnifique – et rouge ! – appelée Wilma.

Ravn est rongé par la culpabilité, repassant en boucle tous les « si » qui auraient permis qu’Eva ne meure pas. S’il était rentré plus tôt, s’il avait insisté pour emménager dans un quartier plus calme, s’il avait fait poser une porte blindée, s’il avait passé moins de temps à son travail…

Ravn consulta l’horloge de son téléphone et constata qu’il n’était que 4h30. Il avait dormi une heure ou deux tout au plus. Pourtant, il savait qu’il ne parviendrait pas à retrouver le sommeil. Il se leva de son lit et emporta sa couette, tandis qu’il traversait la cabine, où Møffe dormait paisiblement. Il ouvrit la porte donnant sur le pont arrière, traîna une chaise en plastique jusqu’au bastingage et s’assit. Le canal était calme et la nuit noire. Hormis un camion de poubelles qui s’éloignait sur le pont, du côté de Christianshavns Torv, il n’y avait pas un bruit. C’était le moment de la nuit où les bars étaient fermés et où le reste du quartier n’était pas encore réveillé. C’était le moment de la nuit où rien ni personne ne pouvait vous déranger. Le vieux Grand Banks se balançait légèrement et le berçait avec douceur, alors qu’il était assis sur sa chaise. Il repensa à son rêve, qui était tout le temps le même. Il essayait toujours de la mettre en garde, d’empêcher l’inévitable. Ses rêves contenaient tous les détails qui avaient été découverts lors de l’enquête – tout ce qu’avait fait Eva avant sa mort et tout ce que le tueur avait emporté. Quant à sa blessure à la tête et à la disposition de son cadavre, il les avait vus de ses yeux, quand Møffe et lui étaient rentrés et l’avaient trouvée gisant sur le sol.
Parfois, quand il rêvait, il apercevait furtivement le visage du tueur, mais c’était toujours sous ses propres traits. Il n’y avait pas besoin d’être psychologue pour comprendre le symbole, et il savait pertinemment que tout cela était lié au sentiment de culpabilité qui continuait de le tourmenter.

Il est contacté par le bras droit – en l’occurrence une belle femme athlétique à la répartie volontiers ironique et sarcastique, Katrine – d’un homme d’affaire très influent et très riche, Ferdinand Mesmer, qui lui demande, pour une belle somme, de retrouver son fils. Ce n’est pas une fugue, d’ailleurs Jakob est un adulte et ça fait une dizaine d’années que son père n’est plus en contact avec lui. Ils se sont quittés en mauvais termes, après avoir pourtant travaillé ensemble, et de manière très fructueuse. Mais Jakob a fondé une secte Les Élus de Dieu, une communauté très fermée et dont on ne sait pas grand-chose.

– Je n’avais encore jamais rencontré de détective privé, encore moins un homme qui vit sur un bateau. J’ai du mal à déterminer si je trouve ça excitant ou simplement pathétique, Ravn.
Il se retourna et releva ses lunettes de soleil. Elle n’avait pas bougé d’un pouce et se contentait de le fixer. Si ce n’était pas un flic, elle l’avait été, il en était persuadé à présent.
– Je suis certain que vous n’êtes pas juste venue me parler de mon bateau ou de mon chien, alors qu’est-ce que vous me voulez ?
Elle décolla les fesses du quai et sauta sur le pont arrière, qui se trouvait un mètre cinquante plus bas. Møffe se leva et donna de la voix, mais la femme continua dans leur direction, imperturbable.
– Du calme, mon grognon, dit-elle en brandissant un biscuit pour chien qu’elle lui mit dans la gueule. On est copains, maintenant ?
Møffe commença à mâcher le biscuit et parut pacifié. Ravn, stupéfait, regarda le chien, puis la femme.
– Vous avez l’air bien préparée.
Elle sourit et lui tendit la main.
– Katrine, se présenta-t-elle. – Il ne fut pas étonné par sa poignée de main ferme. – Je travaille pour Mesmer Resources.
Elle sortit une carte de visite, qu’elle voulut lui donner, mais il ne la prit pas.
– C’est Lohman qui vous a envoyée ici ? – Ravn secoua la tête. – Désolé, mais je ne travaille plus pour lui, et pour votre information, je ne suis pas détective privé.
– Lohman m’avait bien dit que vous vous trouviez à un carrefour de votre vie. – Elle scruta le pont du bateau et la cabine, où régnait un désordre sans nom. – Je vois ce qu’il voulait dire.
– Parfait. Dans ce cas, je suppose que vous allez pouvoir reprendre votre chemin… Katrine.
Il remit ses lunettes de soleil en place.
– Lohman a aussi fait votre éloge. Il a dit qu vous étiez doué. – Au ton de sa voix, on aurait dit qu’elle parlait d’un chien ou d’un enfant, mais Ravn ne se laissa pas provoquer.
– Mon patron, Ferdinand Mesmer, souhaiterait vous rencontrer. – Ella laissa tomber sa carte de visite sur les genoux de Ravn. Il la regarda sans la prendre. La carte était sobre et professionnelle, avec un logo bleu. – Il voudrait s’entretenir avec vous à propos d’une affaire importante, en privé.

– Je ne suis toujours pas intéressé.
-Il paie bien.

– Lohman aussi payait bien, mais j’ai quand même refusé son offre. Dites à votre patron que je n’ai pas envie de jouer les mouchards.
Il voulut lui rendre sa carte, mais elle ne la prit pas.
– Je connais les tarifs pratiqués par Lohman. Ça n’a rien à voir. Et je peux vous garantir qu’il n’attend pas de vous que vous… jouiez les mouchards. Il s’agit d’une affaire extrêmement sérieuse.

– Qui consiste en quoi ?
– Acceptez de rencontrer Ferdinand Mesmer, et il vous expliquera tout.
– Donc, vous n’êtes que la messagère. Comment on appelle ça, déjà ? La coursière ?
Il constata qu’il avait heurté sa dignité, et cela eut un effet agréable sur sa gueule de bois.
– Et si on disait 10 heures demain matin ? Ou c’est peut-être trop tôt pour vous ? L’adresse figure sur la carte de visite.

Ravn a eu un prédécesseur, un détective engagé, comme lui, par le père afin de retrouver le fils. Mais rien ne s’est passé comme prévu. Jakob a été localisé, le détective Benjamin Clausen s’est infiltré dans la secte, il a fait des rapports et, petit à petit, il est devenu un des « élus », un membre de la secte dont l’appartenance est d’autant plus forte qu’elle a été scellée par la confession de Benjamin et par le pardon qui s’en est suivi. Mais c’est quelqu’un d’autre qui est châtié, et horriblement, défiguré par de l’acide. Une punition qu’on veut faire passer pour un suicide ?

Les rapports que Benjamin envoie à Ferdinand Mesmer cessent lorsque le détective intègre le groupe sectaire.

Quand Ravn fut de retour sur la Bianca, il reprit la dernière partie du rapport de Benjamin, ou plus exactement la partie du rapport qui avait été écrite avant que le détective ne parte en vrille et ne se mette à faire l’éloge des Élus de Dieu et à citer de longs passages de la Bible. Ravn commençait à avoir une vague idée de la raison pour laquelle Benjamin avait changé aussi radicalement.
CECI EST MON DERNIER RAPPORT
Aujourd’hui, j’ai passé mon examen et j’ai été reçu. Lise et mes autres m’ont béni et félicité. Jakob Mesmer est même passé dans notre classe, et il m’a qualifié d’homme de l’Évangile. Il a tenu un petit discours en mon honneur devant les autres, m’a complimenté pour mes progrès et a déclaré qu’il plaçait de grand espoirs en moi. Je suis à la fois fier et reconnaissant, mais je me sens aussi honteux d’avoir agi dans leur dos à tous. C’est pourquoi ce rapport sera le dernier.

Le père a perdu tout contact avec son fils mais a besoin de le retrouver pour signer des documents relatifs à sa participation dans l’entreprise familiale dans laquelle Jakob a autrefois joué un grand rôle.

Ravn n’est pas emballé par cette mission, il suspecte que Ferdinand ne lui a pas dit toute la vérité, qu’il y a une autre raison moins avouable derrière cette recherche.

Cependant, accablé de dettes et en manque chronique d’argent, il accepte la mission qui lui est confiée.

Retrouver la secte n’est pas si difficile, mais entrer en contact avec le Maître, si.

Dans ce qui ressemble à un camp de concentration, avec des gens en guenilles, maigres à faire peur et tremblants de peur à la simple évocation du Maître, Ravn va retrouver Benjamin Clausen, plus siphonné que jamais, et Jakob lui-même, effrayant et tout puissant.

Jakob Mesmer l’observa longuement, avant de partir d’un grand rire.
– Je dois reconnaître que je vous ai mal jugé, tout à l’heure ? Vous n’êtes pas une simple brute, mais une brute intelligente. Je comprend mieux pourquoi mon père vous a choisi. Vous devez être un des de ses plus précieux employés.
– Je n’ai fait que me charger de cette mission pour lui, et elle est maintenant terminée. Si vous voulez vraiment le savoir, alors oui, je suis un ancien policier, et oui, le salaire n’était pas mirobolant, d’où ma reconversion. Le salaire horaire chez votre père est beaucoup plus élevé que dans la police de Copenhague.
Jakob Mesmer porta sa main à sa bouche, tandis qu’il regardait Ravn d’un air pensif.
– Ce n’est pas pour cette raison que vous avez changé de métier, et ce n’est pas uniquement pour l’argent que vous travaillez pour mon père. Mon père vous manipule, comme il le fait avec tout son entourage.

Dans le sillage de Jakob, on trouve la mort : c’est ce qu’il en coûte de s’opposer à lui ou de le décevoir, d’une façon qu’on ne pouvait pas prévoir. Ses exigences et ses colères sont hors de proportions, il est à la fois très malin et très fou, une combinaison qui fait de lui un danger absolu dont Ravn est bien près de faire sa dernière expérience terrestre.

Toujours aussi critique de la société danoise, le roman balade son héros fatigué, déprimé et plus ou moins alcoolisé dans un monde sectaire violent, dangereux, comparable à un camp de travail. La fascination qu’exerce le Maître se double d’une emprise totale et effrayante sur l’esprit et le corps des disciples. Comme son passé le prouve amplement, Jakob est un tueur masqué en rédempteur, qui assouvit son goût pour la violence et la mort en se parant de vertus théologales imaginaires.

Ravn trouve, petit à petit, le moyen d’accepter la perte si tragique d’Eva et d’envisager un futur possible, renaissance partielle dans un monde noir et brisé.


La Secte de Michael Katz Krefeld, Editions Actes Sud, Collection Actes noirs
Traduit du danois par Frédéric Fourreau, 400 pages, mars 2022

2 réflexions au sujet de « La Secte de Michael Katz Krefeld »

    1. Merci Hedwige !
      Non non pas du tout ! Ça ne plombe pas le moral (pas comme les résultats du premier tour :-/). Je ne sais pas si tu as lu le premier tome ? Celui-là était vraiment triste mais pas ce troisième tome.
      Tu peux y aller sans peur d’être déprimée !

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